Même les fillettes de deux ans ne sont pas épargnées par ce fléau qui tient aujourd’hui le haut du pavé au Bénin. Le viol sur mineures est un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur malgré les actions menées sur le terrain par les Organisations Non Gouvernementales (ONG) et autres structures pour son éradication. Presque chaque jour, un cas de viol sur mineure est déclaré dans une partie du pays en dehors des cas isolés qui échappent à l’attention des médias et des autorités judiciaires.
Par Samira ZAKARI
La société est devenue aujourd’hui une jungle où les plus faibles et vulnérables notamment les mineures sont dévorées telles des proies par les adultes censés les protéger. L’épanouissement de la petite fille est fortement menacé par des hommes animés d’une perversité extrême qui empêche ces derniers de contrôler leur libido. Conséquence, la petite devient pour eux, une proie sexuelle à dévorer pour assouvir leur désir. Les enfants les plus touchés sont ceux âgés de 2 à moins de 18 ans.
Selon le constat, les violeurs sont pour la plupart des proches des victimes, soit un parent ou un ami de la famille de celles-ci. Ils abusent de la confiance que leur accordent la victime et sa famille pour lui arracher son innocence. Le viol sur mineure prend aujourd’hui une tournure inquiétante au Bénin et sa recrudescence suscite des réflexions sur ses causes.
Dans la commune de Ségbana, un cultivateur de 30 ans a été interpellé pour le viol d’une fillette de 9 ans en avril dernier. Selon les informations, l’homme a été découvert par les parents de la victime dans une position suspecte en compagnie de leur fille. Les analyses médicales réalisées à la suite des douleurs ressenties par la fille ont révélé qu’il s’agit d’un viol. Dans le même temps, le 31 mars 2022, un septuagénaire a été arrêté au quartier Guèma dans le troisième arrondissement de Parakou, pour viol d’une adolescente de 15 ans. La victime serait une vendeuse de beignets. À Bori, dans la commune de N’Dali, une autre petite fille de 9 ans en classe de Cours élémentaire 2e année (Ce2) a été victime de viol par son instituteur âgé de 33 ans. Lors de son interrogatoire, le mis en cause a reconnu les faits.
Des causes du viol sur mineures
Selon l’enseignant au département de sociologie de l’Université de Parakou (Up) Emmanuel Sambiéni, plusieurs facteurs peuvent favoriser le phénomène de viol sur mineures. « Aujourd’hui avec l’utilisation des téléphones intelligents, les jeunes ont des facilités à accéder aux sites de films pornographiques et sont curieux de pratiquer ce qu’ils ont suivi. Ils s’en prennent donc à une sœur ou un proche vulnérable pour pratiquer ce qu’ils ont suivi. Aussi, les filles, même mineures ont parfois des formes de majeures. Ce qui n’est pas toujours à leur avantage », a-t-il exposé. Il pointe également du doigt, la fuite de responsabilité de certains parents sur le plan de l’éducation. Du coup, les petites filles sont laissées à elles-mêmes dans les rues et rencontrent sur leur chemin ces individus véreux. Par ailleurs, poursuit-il, « les jeunes de nos jours ont accès aux stupéfiants et produits psychotropes qui les poussent à la déviance et à la sexualité ».
L’autre cause non moins importante est la protection des violeurs par la société. Lors de la session extraordinaire du comité communal de protection des enfants dans la commune d’Abomey-Calavi le 2 septembre 2021 portant sur la recrudescence des cas de viols dans cette commune, l’officier de police judiciaire au commissariat d’Abomey-Calavi Alirou Ayamoudou a confié en présence de la ministre des affaires sociales Véronique Tognifodé que « quand un cas de viol survient, les parents de la victime saisissent la police. Lorsque nous nous mettons en action, les mêmes parents viennent nous supplier demandant à régler l’affaire en famille au lieu d’aller au tribunal, car, disent-ils souvent, on ne va pas détruire la famille à cause de ça ». Ce silence, complice de la société et surtout des parents expose davantage les victimes qui sont obligées de porter à vie les séquelles de ce triste épisode de leur vie.
Gnanki (nom d'emprunt), une jeune adolescente de 13 ans élève dans un collège de Parakou devra vivre avec le sentiment d'avoir été salit par son oncle, l'homme en qui elle voyait le papa qu'elle n'a pas eu la chance d'avoir. Pour la famille de Gnanki, il est impossible de céder aux caprices de leur fille qui accuse son oncle d'avoir abusé sexuellement d'elle alors que ce dernier est celui-là même qui s'occupe des charges de la famille dont la scolarité de Gnanki.
Les conséquences du viol sur la victime
À en croire le sociologue Emmanuel Sambiéni, l’abus sexuel d’une mineure conduit à la « destruction physiologique et mentale de la victime. L’avenir de la victime est étiqueté, elle a du mal à se reconstruire dans la société. Il y en a qui abandonnent leur formation professionnelle ou l’école pendant une bonne période ». Selon les informations recueillies sur des sites d'institutions Internationales, les conséquences physiques du viol sont, « les douleurs aiguës, plaies du vestibule, perforation hyménale ainsi que la possible transmission d’une Infection Sexuellement Transmissible (IST) ». Sur le plan psychologique Emmanuel Sambiéni affirme que , « le viol conduit chez la victime à la confusion, la baisse de l’estime de soi, le sentiment de honte, l’anxiété, le stress post-traumatique, l’hyper vigilance, la dépression, des Troubles Obsessionnels du Comportement (Toc), les comportements alimentaires perturbés, l’amnésie traumatique totale ou partielle concernant l’agression, difficulté de se remémorer les faits avec exactitude, car ces derniers sont stockés dans la mémoire traumatique et non dans la mémoire autobiographique consciente et contrôlée ». Le viol sur mineure est un phénomène puni par la loi.
Ce que dit la loi
Selon l’article 345 du code de l’enfant en République du Bénin « est puni de la réclusion à temps de 10 ans à 20 ans, le viol commis soit sur une femme en état de grossesse soit sur un enfant de plus de 13 ans». Lorsque le viol est commis sur un enfant de moins de 13 ans, il est puni de la réclusion à perpétuité. Ainsi, le 25 mars 2022, un homme a été condamné à 10 ans de prison pour viol sur une mineure de 14 ans dans la commune d’Abomey-Calavi. Toujours dans cette ville, le tribunal de première instance, de deuxième classe a condamné un homme à 7 ans de prison, dont 5 ans fermes pour viol d’une mineure de 13 ans.
Au regard des conséquences dommageables des viols sur les victimes et la société, il urge que les actions se poursuivent et s’intensifient pour éradiquer ce phénomène.
Des moyens de lutte
Il faut reconnaître que la justice mène un travail incroyable ces dernières années pour décourager les violeurs. En cas d’arrestation d’un individu pour viol sur mineure, les juridictions se saisissent de l’affaire et condamnent à la peine maximale l’auteur selon la gravité de l’acte.
De même, le sociologue Emmanuel Sambiéni pense que l’éradication du phénomène de viol passe par, « la protection des petites filles en leur évitant la présence dans la rue surtout à des endroits dangereux, la préparation des mineures à se défendre contre les agresseurs, la vulgarisation de la loi contre le viol en général et le viol sur mineures en particulier dans les écoles et les centres d’apprentissage et à travers les médias et le contrôle de l’usage des produits psychotropes ».
Le viol étant un phénomène puni par la loi, il doit être dénoncé tout en laissant la justice faire son travail en toute impartialité afin de décourager à jamais les violeurs et réparer les dommages causés aux victimes. Ces actions ajoutées aux sanctions permettront de réduire un tant soit peu le fléau.